La statue (Les dites Cariatides ; To vlemma tou Odyssea ; Brutalität in Stein)
- Les Dites cariatides - Agnès Varda (jusqu'à 11'36'')
- Le Regard d’Ulysse - Theo Angelópoulos (de 11'37 à 3h01'28'')
- Brutalité dans la pierre - Alexander Kluge & Peter Schamoni (de 3h01'28'' à la fin)
Les trois films s’enchaînent.
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« La statue,
avant de s‘inscrire dans le devenir et même de le matérialiser, est d‘abord
arrêtée et triomphale. [...] À l’inverse, le cinématographe semble nous
précipiter essentiellement dans le mûrissement »1. Dès lors, que se
passe- t-il lorsque l’architecture – figurative ou non – est prise comme objet
par le cinéma ? Lorsque ce qui existait sous une apparence figée, supposément
intemporelle, se voit soudain doté d’une durée, à raison de vingt-quatre
reproductions par seconde ?
Mécaniquement,
la caméra étire l’immuable, multiplie l’indivisible sans lui ôter son unicité,
pour finalement révéler un temps paradoxal qui, tout à la fois, s‘arrête et se
projette. La statue de Lénine, charriée par les flots dans Le Regard d’Ulysse de Theo Angelópoulos (1995), devient ainsi le
point d’incarnation à l‘écran d‘une ère politique finissante, quittant
l‘horizon du présent à mesure que le bloc immaculé dérive dans le cadre.
Synthèse des arts du temps et de l’espace, le cinéma libère la mémoire de la
matière, à l’image des travellings de Brutalité
dans la pierre (Alexander Kluge & Peter Schamoni, 1960) longeant les
arêtes martiales des constructions nazies pour raviver les fantômes de la
déportation.
Mais filmer l‘inerte peut aussi donner lieu à la résurgence d‘une
sensualité évanouie ou insoupçonnée, en témoignent les gracieux mouvements
d’appareils qu’effectue Agnès Varda le long des corps, fiers et forts, de ces Dites cariatides (1984).
Là où
l’architecture s’appréhende d’abord avec recul, en nu intégral, le cinéma, lui,
procède par effeuillage pour retrouver dans l’inanimé un eros parfois douloureux.
Nicolas
Métayer
1
MERCIER Claire, La cinéfable, entre drame
et récit, L’Harmattan, Paris, 2017, pp. 96-97
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